DOCUMENT ~ Éloge funèbre d’Émile Zola

avec les COMMENTAIRE d'André BOURGEOIS


Anatole France
5 octobre, 1902

Messieurs,

Appelé par les amis d’Émile Zola à parler sur cette tombe, j’apporterai d’abord l’hommage de leur respect et de leur douleur à celle qui fut durant quarante années la compagne de sa vie, qui partagea, allégea les fatigues des débuts, égaya les jours de gloire et le soutint de son infatigable dévouement aux heures agitées et cruelles.

Messieurs,

Rendant à Émile Zola, au nom de ses amis, les honneurs qui lui sont dus, je ferai taire ma douleur et la leur. Ce n’est pas par des plaintes et des lamentations qu’il convient de célébrer ceux qui laissent une grande mémoire, c’est par de mâles louanges et par la sincère image de leur œuvre et de leur vie.

L’œuvre littéraire de Zola est immense. Vous venez d’entendre le président de la Société des gens de lettres en définir le caractère avec une admirable précision. Vous avez entendu le ministre de l’Instruction publique en développer éloquemment le sens intellectuel et moral. Permettez qu’à mon tour je la considère un moment devant vous.

Messieurs, lorsqu’on la voyait s’élever pierre par pierre, cette œuvre, on en mesurait la grandeur avec surprise. On admirait, on s’étonnait, on louait, on blâmait. Louanges et blâmes étaient poussés avec une égale véhémence. On fit parfois au puissant écrivain (je le sais par moi-même) des reproches sincères, et pourtant injustes. Les invectives et les apologies s’entremêlaient. Et l’œuvre allait grandissant.

Aujourd’hui qu’on en découvre dans son entier la forme colossale, on reconnaît aussi l’esprit dont elle est pleine. C’est un esprit de bonté. Zola était bon. Il avait la grandeur et la simplicité des grandes âmes. Il était profondément moral. Il a peint le vice d’une main rude et vertueuse. Son pessimisme apparent, une sombre humeur répandue sur plus d’une de ses pages cachent mal un optimisme réel, une foi obstinée au progrès de l’intelligence et de la justice. Dans ses romans, qui sont des études sociales, il poursuivit d’une haine vigoureuse une société oisive, frivole, une aristocratie basse et nuisible, il combattit le mal du temps : la puissance de l’argent. Démocrate, il ne flatta jamais le peuple et il s’efforça de lui montrer les servitudes de l’ignorance, les dangers de l’alcool qui le livre imbécile et sans défense à toutes les oppressions, à toutes les misères, à toutes les hontes. Il combattit le mal social partout où il le rencontra. Telles furent ses haines. Dans ses derniers livres, il montra tout entier son amour fervent de l’humanité. Il s’efforça de deviner et de prévoir une société meilleure.

Il voulait que, sur la terre, sans cesse un plus grand nombre d’hommes fussent appelés au bonheur. Il espérait en la pensée, en la science. Il attendait de la force nouvelle, de la machine, l’affranchissement progressif de l’humanité laborieuse.

Ce réaliste sincière était un ardent idéaliste. Son œuvre n’est comparable en grandeur qu’à celle de Tolstoï. Ce sont deux vastes cités idéales élevées par la lyre aux deux extrémités de la pensée européenne. Elles sont toutes deux généreuses et pacifiques. Mais celle de Tolstoï est la cité de la résignation. Celle de Zola est la cité du travail.

Zola, jeune encore, avait conquis la gloire. Tranquille et célèbre, il jouissait du fruit de son labeur, quand il s’arracha lui-même, d’un coup, à son repos, au travail qu’il aimait, aux joies paisibles de sa vie. Il ne faut prononcer sur un cercueil que des paroles graves et sereines et ne donner que des signes de calme et d’harmonie. Mais vous savez, Messieurs, qu’il n’y a de calme que dans la justice, de repos que dans la vérité. Je ne parle pas de la vérité philosophique, objet de nos éternelles disputes, mais de cette vérité morale que nous pouvons tous saisir parce qu’elle est relative, sensible, conforme à notre nature et si proche de nous qu’un enfant peut la toucher de la main. Je ne trahirai pas la justice qui m’ordonne de louer ce qui est louable. Je ne cacherai pas la vérité dans un lâche silence. Et pourquoi nous taire? Est-ce qu’il se taisent, eux, ses calomniateurs? Je ne dirai que ce qu’il faut dire sur ce cercueil, et je dirai tout ce qu’il faut dire.

Devant rappeler la lutte entreprise par Zola pour la justice et la vérité, m’est-il possible de garder le silence sur ces hommes acharnés à la ruine d’un innocent et qui, se sentant perdus s’il était sauvé, l’accablaient avec l’audace désespérée de la peur? Comment les écarter de votre vue alors que je dois vous montrer Zola se dressant, faible et désarmé, devant eux? Puis-je taire leurs mensonges? Ce serait taire sa droiture héroïque. Puis-je taire leurs crimes? Ce serait taire sa vertu. Puis-je taire les outrages et les calomnies dont ils l’ont poursuivi? Ce serait taire sa récompense et ses honneurs. Puis-je taire leur honte? Ce serait taire sa gloire. Non! je parlerai.

Avec le calme et la fermeté que donne le spectacle de la mort, je rappellerai les jours obscurs où l’égoïsme et la peur étaient assis au Conseil du Gouvernement. L’iniquité commençait à être connue, mais on la sentait soutenue et défendue par de telles forces publiques et secrètes, que les plus fermes hésitaient. Ceux qui avaient le devoir de parler se taisaient. Les meilleurs, qui ne craignaient pas pour eux-mêmes, craignaient d’engager leur parti dans d’effroyables dangers. Égarée par de monstrueux mensonges, excitée par d’odieuses déclamations, la foule du peuple, se croyant trahie, s’exaspérait. Les chefs de l’opinion, trop souvent, caressaient l’erreur, qu’ils désespéraient de détruire. Les ténèbres s’épaississaient. Un silence sinistre régnait. C’est alors que Zola écrivit au président de la République cette lettre mesurée et terrible qui dénonçait le faux et la forfaiture.

De quelles fureurs il fut alors assailli par les criminels, par leurs défenseurs intéressés, par leurs complices involontaires, par les partis coalisés de toutes les réactions, par la foule trompée, vous le savez et vous avez vu des âmes innocentes se joindre avec une sainte simplicité aux hideux cortège des aboyeurs à gages. Vous avez entendu les hurlements de rage et les cris de mort dont il fut poursuivi jusque dans le Palais de Justice, durant ce long procès jugé dans l’ignorance volontaire de la cause, sur de faux témoignages, dans le cliquetis des épées.

Je vois ici quelques-uns de ceux qui, se tenant alors à son côté, partagèrent ses périls : qu’ils disent si jamais plus d’outrages furent jetés à un juste! Qu’ils disent aussi avec quelle fermeté il les supporta! Qu’ils disent si sa bonté robuste, sa mâle pitié, sa douceur se démentirent une seule fois et si sa constance en fut ébranlée.

En ces jours scélérats, plus d’un bon citoyen désespéra du salut de la patrie et de la fortune morale de la France. Les républicains défenseurs du régime actuel n’étaient pas seuls atterrés. On entendit un des ennemis les plus résolus de ce régime, un socialiste irréconciliable s’écrier amèrement :" Si cette société est à ce point corrompue, ses débris immondes ne pourront même pas servir de fondement à une société nouvelle." Justice, honneur, pensée, tout semblait perdu.

Tout était sauvé. Zola n’avait pas seulement révélé une erreur judiciaire, il avait dénoncé la conjuration de toutes les forces de violence et d’oppression unies pour tuer en France la justice sociale, l’idée républicaine et la pensée libre. Sa parole courageuse avait réveillé la France.

Les conséquences de son acte sont incalculables. Elles se déroulent aujourd’hui avec une force et une majesté puissantes; elles s’étendent indéfiniment : elles ont déterminé un mouvement d’équité sociale qui ne s’arrêtera pas. Il en sort un nouvel ordre de choses fondé sur une justice meilleure et sur une connaissance plus profonde des droits de tous.

Messieurs,

Il n’y a qu’un pays au monde dans lequel ces grandes choses pouvaient s’accomplir. Qu’il est admirable, le génie de notre patrie! Qu’elle est belle, cette âme de la France, qui dans les siècles passés, enseigna le droit à l’Europe et au monde! La France est le pays de la raison ornée et des pensées bienveillantes, la terre des magistrats équitables et des philosophes humains, la patrie de Turgot, de Montesquieu, de Voltaire et de Malesherbes. Zola a bien mérité de la patrie, en ne désespérant pas de la justice en France.

Ne le plaignons pas d’avoir enduré et souffert. Envions-le. Dressée sur le plus prodigieux amas d’outrages que la sottise, l’ignorance et la méchanceté aient jamais élevé, sa gloire atteint une hauteur inaccessible.

Envions-le : il a honoré sa patrie et le monde par une œuvre immense et par un grand acte. Envions-le, sa destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand : il fut un moment de la conscience humaine.

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COMMENTAIRE, André BOURGEOIS

Source: Site Anatole France

On le sait, Anatole France, dans un premier temps, eut des mots assez durs pour qualifier l'oeuvre d'Emile Zola. C'est par l'Affaire (Dreyfus) que les deux hommes se rapprochèrent et devinrent amis. Emile Zola était un de ces écrivains qui poursuivent leur tâche loin de la furie des hommes même quand il la déchaînait involontairement. Il n'aimait pas la foule, il avait bien raison, elle n'est jamais bonne, elle se montre toujours versatile, prête à se donner au premier braillard venu.

C'est cet homme discret, écrivain qui connaissait un immense succès dans le même temps qu'il était vilipendé par toute la société dite bien-pensante, qui se lança dans la bataille pour la défense d'un innocent alors que tout paraissait perdu. Tout le monde connaît l'histoire. Le 13 janvier 1898, Emile Zola faisait paraître dans le journal l'Aurore un pamphlet sous forme d'une lettre au Président de la république, dont le titre " J'accuse " concernait les hommes compromis dans cette sinistre comédie militaro-judiciaire.

Ce sera le début de la déroute du parti noir et sabre, Armée et Eglise, armée de revanchards et de traîtres, celle des massacres encore frais des communards, de la défaite honteuse de Sedan, qui ira jusqu'à porter en triomphe Esterhazy, Eglise elle aussi de revanchards et de comploteurs qui récoltera bientôt une partie de ce qu'elle mérite sous le gouvernement des trois Jules. ( J'en profite pour dire bien fort que nous n'avons rien à voir avec les valeurs pseudo civilisatrices de cette Eglise et d'un christianisme qui ne fut jamais que bruits et fureurs. )

Zola sera obligé de s'exiler pour échapper à une justice " aux ordres ". Mais rien ne pourra sauver le parti du crime et de la forfaiture. Dreyfus sera gracié puis réhabilité, la justice militaire et l'Etat-Major déconsidérés.

En France comme ailleurs, l'extrême droite et la droite ont toujours été les partis du crime et de l'assassinat. Jaurès tombera sous leurs coups après de nombreux appels au meurtre, conséquente la république des assassins acquittera son meurtrier. Zola, lui aussi, aura payé depuis longtemps de sa vie la victoire sur l'injustice. On aura peur, on taira le forfait. Que se serait-il produit si on l'avait avoué ? C'était bien le problème. Connu le crime ne sera pas reconnu pendant de nombreuses années. Aujourd'hui, il importe de le savoir : les sbires du parti noir des ratichons, du parti tricolore des assassins galonnés, les mêmes qui conduiront au massacre par pure connerie trois cent mille hommes durant le premier mois de guerre, puis, qui fusilleront leurs propres troupes pour cacher leur incompétence criminelle, ont assassiné un des plus grands écrivains français après l'avoir traîné dans la boue dans leur presse de militaro-sacristienne.

Un correspondant québécois m'a suggéré de mettre sur mon site le texte de l'hommage à Emile Zola que prononça sur sa tombe son ami Anatole France. Je le fais avec un grand plaisir en hommage aux deux hommes et à leur ami, Jaurès, lui aussi victime du parti nationaliste, la droite éternelle, le parti de Barrès, du fric, des curés et des généraux, le parti des tueurs.


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Trois discours sont prononcés

Le premier, par le ministre de l’Instruction publique, Joseph Chaumié qui apporte le salut du « Gouvernement de la République », qui a tenu à l’honneur de prendre part à ces funérailles »

Le deuxième, par Abel Hermant président de la Société des Gens de Lettres, qui dresse de Zola un portrait littéraire fouillé et perspicace et termine en rappelant « qu’à la fin d’un de ses plus beaux livres (L’œuvre) » il avait « décrit une cérémonie comme celle-ci », qui s’achevait par « cette humble et magnifique devise de toute sa vie » : « Allons travailler »

.Le troisième, par Anatole France, au nom des amis de Zola.Le corps de l’écrivain, mort le 29 septembre1902, fut embaumé et inhumé au cimetière Montmartre le 5 octobre 1902p.s.
Un peu plus tard, le 21 mars 1904 le buste modelé par Philippe Solari, dont une version ornait l’appartement de la rue de Bruxelles, prendra place sur le monument funéraire en porphyre rouge réalisé par Frantz Jourdain.

Zola / Henri Mitterand Tome III p.805

L’exhumation du corps eut lieu le mercredi 3 juin 1908 En présence d’Alexandrine-Gabrielle Meley son épouse,de ses deux enfants Denise et Jacques.
Le corps fut reçu au PANTHÉON à 20 heure. Les cérémonies officielles en présence du Président de la République Armand Fallièreurent lieu le lendemain 4 juin 1908.
A l' Intérieur de la Crypte au Panthéon.
Victor Hugo à gauche, Alexandre Dumas au milieu, Émile Zola à droite.

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"Édité dans le but de mieux connaître et AIMER Émile Zola"

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